Du matériel à l’écoconception : quels sont les principaux leviers d’actions pour un numérique plus responsable
Retrouvez le compte-rendu de la conférence Green IT animée par 3 ingénieurs ESEO (Arnaud COSPAIN, Antoine ABÉLARD et David OLIVIER) proposée par ESEO Alumni sur le campus ESEO Angers et en visioconférence.
De la production à l’utilisation, les intervenants ont présenté un cadre global du sujet du Green IT aux étudiants ESEO et Alumni présents pendant la conférence. Ils se sont appuyés sur leurs expériences, et travaux, professionnels en illustrant leurs propos et en apportant à chaque fois des conseils pratiques pour plus de sobriété numérique.
L’objectif principal étant d’informer sur ce sujet non seulement d’actualité mais surtout essentiel pour des ingénieur(e)s, et futur(e)s ingénieur(e)s, produisant et utilisant les technologies numériques. Cette conférence se positionnait dans la continuité des Fresques du Climat et du Numérique réalisées par les étudiant(e)s au cours de leurs études à ESEO.
De nombreux échanges ont eu lieu à la fin de celle-ci avec une série de questions réponses et des compléments d’informations, commentaires par les Alumni.
Quel est l’impact du numérique ?
Pour commencer la conférence, des chiffres sur l’impact du numérique ont été présentés avec notamment les GES produits par la fabrication et l’utilisation des outils numériques. (voir présentation ci-jointe)
Par exemple, 170 000 tonnes de déchets électroniques sont produites par jour dans le monde et cependant que 17 % sont recyclés. Un utilisateur utilise en moyenne 149 Go par mois sur son mobile ou bien 100 Mo par minute sur Tik Tok si bien que le numérique représente 8,3 % de la consommation française.
Guillaume PÉAN, #ingESEO suivant la conférence ne ligne, indique qu’il est cependant « dommage de limiter la démonstration aux GES, le premier impact du numérique c'est l'épuisement des ressources abiotiques (52%) puis radiation ionisante (28%), les GES c'est uniquement le troisième facteur de pollution (11%), cf. 16 indicateurs du PEF à analyser via des ACV.* ».
« Comment optimiser la sobriété numérique ? »
La première partir de la conférence, animée par Arnaud COSPAIN, s’est intéressée à la partie matérielle et plus spécifiquement aux serveurs.
Pour commencer, il est important de définir les scopes d’émissions 123 GES d’un bilan carbone appliqués à datacenter:
- Inhérent : émissions directes de gaz à effet de serre
- Electrique : émissions indirectes liées à l’énergie
- Fabrication et matières brutes : autres émissions indirectes
C’est le scope 3 qui est le plus impactant au niveau du CO2 avec les serveurs, le stockage, l’équipement réseau et l’architecture/lots techniques lorsque l’on prend l’ensemble de la chaîne, de la fabrication à la fin de vie.
Pour le scope 2, sur la consommation d’énergie, l’important est alors de savoir quelle est la source d’énergie principale du pays où sont installés les datacenters. Alors qu’en France, le scope 2 représente 25% avec une source d’énergie principalement nucléaire, il tombe à 20% lorsqu’on mixe les sources d’énergies, notamment avec des énergies durables ou monte à 80% avec des sources d’énergie au charbon/minière.
A noter : si l’on souhaite essayer « d’équilibrer » l’empreinte carbone de la production d’un serveur, qui est incompressible, avec son impact CO2 d’utilisation, il faut le garder à minima 5 ans.
« Utile, utilisable, utilisée »
Antoine ABÉLARD a poursuivi en abordant le sujet de la sobriété fonctionnelle qui se définit par l’optimisation des fonctionnalités des logiciels, la prise en compte des besoins des utilisateurs (faire simple et efficace) et le cycle de vie de développement d’un logiciel (dont la fin de vie). C’est cet aspect qui est le plus souvent oublié : de nombreux logiciels qui ne sont plus maintenus ou utilisés continuent de « tourner » sur les serveurs ou machines des utilisateurs.
Autre exemple : les environnements de tests informatiques qui continuent de tourner la nuit et les week-ends alors qu’ils ne sont pas utilisés. Cela ne coût rien de les programmer pour qu’ils s’éteignent automatiquement…
Le poids du web : 2500ko pour 1 page
Un poids multiplié par 1.5 depuis 2015 et qui ne cesse de grossir.
Si des référentiels sont mis en place, à l'image du Référentiel Général d’Écoconception de Services Numériques (RGESN), avec un ensemble de conseils pour optimiser la consommation énergétique et promouvoir l'écoconception logicielle, aucune obligation n'existe pour l'instant.
Le RGESN est piloté par le DINUM, le Ministère de la transition écologique et l'ADEME.
Des outils d'analyse de logiciels et audit des sites Internet sur leurs aspects d'écoconception et d'accessibilité sont disponibles tel que Kastor.green.
Mesure de la consommation
En ce qui concerne la consommation, David OLIVIER précise que c’est la mesure qui est complexe car le contexte de l’environnement technique a un impact sur la consommation (nb de machines, puissance de calcul, environnement logiciel…). Pour réaliser des mesures efficaces, il faut comparer sur un environnement maîtrisé.
« La seule mesure vraie : la machine qui tourne »
Ce qu’il faut retenir
Impacts principaux :
- Datacenters : type de production électrique électrique et fabrication des serveurs
- Utilisateurs : fabrication des appareils électroniques
- Logiciels : fonctionnalités et applications trop peu utilisées
Leviers d’amélioration :
- Datacenters : Bien dimensionner ses besoins
- Utilisateurs : Réparer et conserver le plus longtemps possible
- Logiciels :
- Sobriété fonctionnelle et technologique
- Implication de toutes les parties prenantes dans la démarche NR
- Intégration du NR comme un objectif à part entière du projet
- Eco conception et Eco coding en appliquant des règles vérifiées
Pour aller plus loin :
- Mooc “Impacts du numérique” par l’INRIA : https://learninglab.gitlabpages.inria.fr/mooc-impacts-num/mooc-impacts-num-ressources/index.html
- Institut du Numérique responsable https://institutnr.org/
- Fresque du numérique : https://www.fresquedunumerique.org/
- Collectif Green IT : https://www.greenit.fr/
Echanges
Quid de l’impact du traitement des données et du travail sur l’intelligence artificielle ?
De nombreuses technologies qui sont développées actuellement sont très consommatrices en ressources CPU/RAM. En ce qui concerne l’intelligence artificielle, le plus gros de la consommation énergétique est utilisé pour l’entraînement/apprentissage (GPU) alors que les traitements sont peu consommateurs (CPU).
Elles ont donc un impact énergétique important. Il est important de ne pas faire « tourner pour rien » des machines et se poser la question de l’utilisation des ressources informatiques pour réaliser des tâches ou calculs simples.
Est-ce possible de réduire l’impact énergétique des data centers ?
Le cas de la « cogénération », récupération de la chaleur des datacenters pour un autre usages, ne fait pas vraiment ses preuves car la quantité produite est faible (ce n’est pas de la récupération/conversion). D’autres projets tentent de réduire la chaleur en installant les datacenters dans des milieux froids ou dans l’eau. Mais c’est un peu du « green washing » vu l’impact global de la consommation énergétique (sources d’alimentation et eau) des datacenters.
L’un des intervenants mentionne le cas d’OVH qui optimiser la durée de vie de son matériels (composants) pour réduire l’impact.
Guillaume PÉAN conseille « pour les datacenters, de prendre des serveurs ASHRAE A3 ou A4 pour autoriser des températures plus élevées, Energy Star ou 80 plus, utiliser le free cooling ou water cooling ».
« Green Business ? »
Un étudiant s’interroge en ligne : « Actuellement en stage dans une grosse entreprise, on travaille sur un site qui pèse au moins 8Mb et envoie des centaines de requêtes.
Je travaille avec des développeurs qui s'intéressent au Green IT. Seul problème, c'est la section "Business" qui décide les tâches sur lesquelles ont doit utiliser notre temps.
Or les gains économiques possibles sont bien moins intéressants que les gains engrangés par le développement de nouvelles fonctionnalités.
Résultats, le Green IT n'existe pas sans "Green Business"… Des idées de moyens pour contrer ça ? »
Il faut réussir à convaincre la direction et montrer les avantages d’intégrer des approches Green IT. Cela peut être un moyen de convaincre des clients, de motiver ses équipes et de contribuer à plus de sobriété numérique.
Cela passe aussi par la sensibilisation des utilisateurs finaux pour qu'ils comprennent qu'il n'y a pas d'intérêt à avoir des fonctionnalités supplémentaires si elles n'ont pas une valeur ajoutée confirmée. A l'image des voyages, avec un indicateur d'empreinte carbone de la solution VS les gains réels (entre les coûts de développement et le produit vendu).
Guillaume PÉAN « Pour les indicateurs et la sensibilisation, je préfère le suivant plus parlant que les 6% de GES : l'emprunte numérique d'un européen c'est 40% de son budget annuel en ressources, sachant qu'il faut aussi se loger, se nourrir... En 2021 on était déjà endetté à partir du 5 juillet ! »
*Les 16 indicateurs PEF
- PEF-ADPe (kg SB eq.) Utilisation des resources minérales et métalliques
- PEF-ADPf (MJ) Utilisation de ressources fossiles (y inclus le nucléaire)
- PEF-AP (mol H+ eq.) Acidification
- PEF-CTUe (CTUe) Ecotoxicité des eaux douces
- PEF-CTUh-c (CTUh) Toxicité humaine - Effets cancérigènes
- PEF-CTUh-nc (CTUh) Toxicité humaine - Effets non-cancérigènes
- PEF-Epf (kg P eq.) Eutrophisation des eaux douces
- PEF-Epm (kg N eq.) Eutrophisation des eaux marines
- PEF-Ept (mol N eq.) Eutrophisation terrestre
- PEF-GWP (kg CO2 eq.) Changement climatique total
- PEF-IR (kg U235 eq.) Emissions de substances radionisantes
- PEF-LU (No dimension) Utilisation des sols
- PEF-ODP (kg CFC-11 eq.) Apprauvrissement de la couche d'ozone
- PEF-PM (Disease occurrence) Emissions de particules fines
- PEF-POCP (kg NMVOC eq.) Formation d'ozone photochimique
- PEF-WU (m3 eq.) Utilisation de la ressource en eau
Le premier impact du numérique est ADPe, puis IR en France (lié au nucléaire), puis ADPf/GWP
Et pour illustrer l'épuisement des ressources minérales et métalliques : https://www.usinenouvelle.com/article/infographie-de-surprenantes-matieres-critiques.N563822
Intervenants :
Antoine ABÉLARD (promo ESEO 2015 - ESAKI)
Directeur de projets chez SPECINOV, société spécialisée dans le conception d'application web et mobiles éco-conçues, Antoine est passionné par la thématique du Green IT. Il intervient d'ailleurs à ESEO Angers sur ce sujet afin de former les #ingESEO de demain à cet aspect de l'informatique.
Arnaud COSPAIN (promo ESEO 2015 - ESAKI)
IT Solution Architect chez IPPON, Arnaud est féru des technologies innovantes, notamment le "move to Cloud" et les sujets sur la responsabilité numérique (souveraineté et sobriété / Green IT).
Membre du Conseil d'Administration d'ESEO Alumni, il intervient également à ESEO Paris-Vélizy sur la thématique du Cloud Computing.
David OLIVIER (promo ESEO 2002 - PLANCK)
Directeur de la Recherche et du Développement chez DAVIDSON Consulting, David coordonne différents projets de recherche dont dernièrement DISTILLER. Ce projet, soutenu par l'Agence Nationale de Recherche (ANR), porte sur la réduction de l'impact environnemental des solutions Cloud.
"Inria, OVHcloud, Orange et Davidson consulting se sont associés au sein d’un consortium afin de mutualiser leurs expertises, avec l’objectif de définir des recommandations précises sur les éléments logiciels et les configurations les plus adaptées pour assurer la durabilité et la frugalité énergétique des applications cloud, dès la conception.
DISTILLER étudiera et organisera l’écosystème des logiciels Cloud, puis exploitera les données qui en résultent pour proposer des modèles de configuration optimisés, en se fondant sur différents algorithmes d’intelligence artificielle."
David est également membre du Conseil d'Administration ESEO Alumni.
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