Lauréat "Ingénieur Technique" du Prix #ingESEO 2021, Jacques-Olivier PIEDNOIR s'est prêté à l'exercice de l'interview smartphone : souvenirs de l'école, parcours et conseils sont à découvrir !
Vice-Président de la société CADENCE DESIGN SYSTEMS, il a construit sa carrière dans la Silicon Valley et a contribué au développement de la Recherche à ESEO.
L'interview smartphone
Pourquoi des études d'ingénieur ? Quels conseils pour les étudiantes et étudiants ? Meilleure expérience ?
Qu’est-ce qui t'a motivé à suivre des études d’ingénieurs ?
J’aimais les maths et je connaissais bien un professeur ESEO, Mr Bardin ainsi qu’un alumni Jacky Leclerc. J’étais jeune (16 ans) et je ne savais pas quoi faire d’autres 😊
Peut-on parler de motivation ? En tout cas je n’ai jamais regretté.
Que dirais-tu à un étudiant, une étudiante aujourd’hui à ESEO ?
Suit les cours, tout pourra être utile à un moment venu.
Je fais de l’informatique appliquée à la conception assistée par ordinateur, j’ai souvent besoin de regarder des cours sur internet pour me rappeler des concepts de base.
Implique-toi dans les associations.
Tu gagneras quelques années de maturité et améliorera ta communication, parfois plus développées chez ceux qui sortent des écoles de commerce (mais qui n’auront jamais notre niveau de connaissance technique).
Une carrière c’est long, tu changeras d’entreprise, de métiers, tu pourras reprendre des études.J’ai fait HEC à 43 ans et cela m’a beaucoup apporté.
Pratique ton métier avec bienveillance pour tes collègues, tes fournisseurs et tes clients.
Ta meilleure expérience en tant qu’ingénieur ?
Ma boite COMPASS avait été rachetée par une entreprise qui était en procès pour avoir volé du logiciel et avait des méthodes de management indignes. Le patron et l’équipe dirigeante ont été condamnée (voir « Avant ! vol de logiciel » sur un moteur de recherche).
Je suis parti de cette boite rapidement ne partageant pas ses valeurs, 17 ingénieurs m’ont suivi en démissionnant, sans contrat d’embauche, simplement en me faisant confiance pour redémarrer un nouveau centre de R&D financé par Cadence sur une idée innovante.
Nous y sommes toujours, un grand nombre sont encore dans mes équipes.
Parcours de Jacques-Olivier PIEDNOIR
Ma carrière a surfé et contribué à la loi de Moore. Un DEA en informatique à l’université de Rennes en parallèle de la troisième année m’avait donné l’envie d’approfondir ce domaine. A l’époque les micro-ordinateurs n’existait pas et l’ordinateur de l’ESEO ne m’avait pas permis d’approfondir ma curiosité dans ce domaine. Je suis donc allé poursuivre mes études par un master informatique à SupAéro qui bénéficiait de tous les équipements du CNES et des centres de recherche de l’armée (DERI).
J’ai commencé à travailler en Janvier 82 chez Matra Harris Semiconducteur qui venait de s’installer à Nantes. J’ai débuté dans le service CAO (Conception Assistée par Ordinateur), à cette époque la CAO n’existait pas en tant qu’entreprise indépendante et chaque fabricant de semi-conducteur avait son service développement. Au bout d’un an, je suis parti dans la Silicon Valley pour quelques années, je travaillais comme ingénieur de développement logiciel sur le placement et routage de circuits intégrés de 1000 transistors. J’ai eu ensuite l’opportunité de revenir en France, à Sophia-Antipolis, pour démarrer et diriger des centres de R&D d’entreprises de CAO américaines (VLSI Technology, COMPASS, Cadence).
Les premiers transistors manipulés par mes logiciels avaient des grilles de 5 microns. 40 ans plus tard, je travaille pour Apple et Intel sur des circuits de milliards de transistors en 3 nanomètres.
La loi de Moore n’est pas une loi qui gouverne l’évolution, c’est une constatation de l’évolution de la technologie. Tous les 2 ans, les usines de semi-conducteurs développent des procédés qui permettent de mettre 2 fois plus de transistors sur la même surface. Mon travail, chez un leader de de la CAO, devenue une industrie indépendante représentant plus de 10 milliards de dollars de chiffre d’affaire a été de fournir des logiciels. Ces logiciels permettent de passer de la spécification d’un circuit, comme le processeur graphique de l’écran de l’Iphone 12 par exemple, aux plans de fabrication (appelés « masques »). Ces masques sont envoyés à l’usine de fabrication (souvent TSMC à Taiwan ou Intel et Samsung). Grâce à ces logiciels nous avons élevé le niveau d’abstraction de saisie des spécifications pour pouvoir synthétiser, simuler, placer et router toutes les connexions de ces milliards de transistors. La fabrication du premier prototype du processeur d’un Iphone dernière génération coûte plus de 100m$, il vaut mieux que cela marche du premier coup ! Ce sont nos logiciels qui permettent l’émulation et la conception permettant ce « first silicon success ».
La loi de Moore est en fin de course. En dessous de 2 nanomètres, les effets quantiques perturbent le fonctionnement des transistors. On ne sait plus si les électrons sont d’un côté ou de l’autre de l’isolant, ils sont partout à la fois (comme le chat de Schrödinger). Alors que fait-on maintenant ? C’est fini ? Non, on empile les transistors en 3D, les uns sur les autres dans des systèmes de plus en plus complexes qui sont les constituants d’un monde d’objets interconnectés et reliés au nuage informatique mondial.
J’ai toujours été dans la recherche et développement, d’abord développeur et ensuite dirigeant des équipes de 10 puis 100 à 200 personnes.
Aujourd’hui je suis responsable du produit phare de la société Cadence, Virtuoso, logiciel de conception des circuits analogiques. Mes équipes ont déposé des centaines de brevets dans le domaine (plus de 100 pour l’équipe de Sophia-Antipolis en 25 ans) et autant à Edinburgh, Taiwan ou Delhi.
J’ai toujours voulu continuer à comprendre les détails de la technique (il m’arrive de programmer encore en C++ pour être sûr de bien comprendre le travail de mes ingénieurs et de jouer avec des schémas d’ampli opérationnel dans Virtuoso pour essayer le logiciel avant les clients).
Entre temps, j’ai pu aussi compléter un EMBA à HEC car le coté business et management humain de mon travail m’intéressait de plus en plus mais sans jamais remplacer ma curiosité scientifique et mon goût pour l’informatique.
Fidèle à ESEO, j’ai participé à la création et au développement de la recherche à l’école qui a atteint aujourd’hui un niveau exceptionnel grâce aux talents et au dévouement des enseignants chercheurs.
Mes goûts pour les contacts et les réseaux m’ont aussi amené à créer et à animer pendant plus de 15 ans une association qui regroupait toutes les industries électroniques de Sophia-Antipolis (ST, ARM, NXP,…). Nous organisions chaque année une conférence : SAME, qui permettait aux ingénieurs Européens de suivre les progrès technologiques dans les domaines de la conception de circuits.
J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir surfer la vague du semi-conducteur en la prenant à la source : la Silicon Valley des années 80, et de pouvoir continuer à évoluer dans le tube et sur les pentes de cette vague pendant 40 ans.
Je souhaite la même expérience aux nouveaux ingénieurs, une carrière centrée sur la technique mais qui leur donnera aussi l’opportunité de manager des ressources humaines et financières dans un environnement international, respectueux de la planète et de voir grossir les revenus de leurs produits (Virtuoso a dépassé les 250M$ cette année!).
Voilà j’espère ne pas vous avoir ennuyé et que cette histoire donnera envie à de jeunes ingénieurs d’aller faire un tour dans la Silicon Valley pour surfer les nouvelles vagues (Intelligence Artificielles, ordinateur quantique, bio électronique) jusqu’en France.
Vous êtes intéressé par l'Internet des objets ?
Jacques-Olivier Piednoir avait publié un article sur le sujet en avril 2015.
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