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Rencontre avec Michel LEDUC - Promotion FERMI (1973)

Portraits d'Ingénieurs

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04/06/2024

À l'occasion de la publication de son premier livre "Le Thomson T07, succès controversé de la microinformatique française", chez L'écritoire, nous vous proposons de découvrir le parcours de Michel LEDUC,  co-créateur du T07.

Sa carrière suit les évolutions technologiques, ainsi que l'histoire de l'industrie électronique en France et Michel continue d'accompagner de jeunes entreprises dans leur développement.

Michel a également été administrateur de l'association pendant plusieurs années. Il était notamment notre correspondant au sein de l'IESF et s'implique sur la thématique de l'entrepreneuriat/startup.


Qu'est-ce que le "T07" ? 

Le Thomson TO7 est un ordinateur commercialisé par le groupe Thomson SA de novembre 1982 à juin 1984. TO signifie « Télé/Ordinateur » ; en effet, cette machine destinée au marché familial se branchait au téléviseur du salon, ce qui permettait d'économiser l'achat d'un moniteur très coûteux.  

(Source : wikipedia)


Peux-tu nous parler de ton parcours à ESEO et de son impact sur ta carrière dans l'informatique/électronique ?

J’ai rejoint ESEO suite à mon bac obtenu en 1968. Les deux premières années qui correspondaient à deux années de préparation et qui permettaient d’avoir le DEUG à l’Université de Nantes furent très compliquées et il m’a fallu plaider ma cause auprès de M Cesbron (préfet des études) pour passer en 3ème année, première année du cycle ingénieur. 

Sorti du théorème de Borel Lebesgue et de cours trop théoriques pour moi pendant les deux premières années, tout a changé et les cours d’électronique de M Turbé m’ont convaincu que je ne m’étais pas trompé de voie. 

Mon intérêt pour les télécommunications, les transmissions radio et TV n’a fait que grandir et ma remontée des profondeurs du classement de la promo fut spectaculaire. 

Parmi les offres d’emploi c’est donc tout naturellement que j’ai choisi Thomson suite à une visite du LCR (Laboratoire central de recherche) de Corbeville où la démonstration d’un prototype du vidéodisque m’avait ébloui. C’est au moment de l’arrêt du projet de vidéodisque grand public que mon patron de l’époque s’est engagé auprès de la direction de Thomson pour créer un ordinateur grand public et m’a confié le projet.


En tant que cocréateur du TO7, comment décrirais tu l'atmosphère et les défis rencontrés lors de son développement ?

C’est dans un petit labo, bien séparé de l’usine de Moulins qui produisait la HIFI du groupe que tout a commencé. Le challenge était complètement fou. Poussé par l’équipe semi-conducteur de Thomson Grenoble, nous pensions pouvoir trouver les composants principaux pour réaliser le hardware du microordinateur recherché par la direction du Groupe mais je ne connaissais rien à la programmation des microprocesseurs (mes cours de Fortran à ESEO étaient déjà bien loin).

Dans la carte blanche, donnée par la direction, j’eus la chance de pouvoir rechercher l’oiseau rare pour réaliser la partie logicielle : José Henrard. Chercheur au CNRS en sociologie, il passait son temps au labo du Professeur Dupuis à Jussieu à développer des moniteurs (mini OS) pour faire tourner des cartes à microprocesseur conçu par lui. Très brillant, il s’est imposé rapidement pour prendre le lead sur le projet et en particulier sur le logiciel et le marketing. 

De mon côté le challenge était de réaliser le hardware et surtout d’industrialiser le produit pour le fabriquer en volume. Derrière le côté technique, il y avait le côté humain, avec la création d’une équipe micro qui est rapidement passée de 4 personnes à Moulins à 60 personnes à Angers suite au transfert de la production à St Pierre Montlimart. 

Passer d’ingénieur en électronique à manager de labo est un défi auquel on n’est pas forcément préparé en sortant de l’école. Naviguer dans les eaux troubles d’un grand groupe où la télévision était l’axe majeur fut un autre défi, notre arrivée à Angers s’est avérée compliquée et la cohabitation fut difficile. 

Enfin, l’industrialisation et la production en volume de produits nouveaux furent des expériences enrichissantes, y compris dans la recherche de fournisseurs en Asie et aux US. Ce projet fut aussi l’occasion pour moi de me retrouver dans une situation inconfortable quand il a fallu délocaliser la production en Corée suite à la décision de fermer l’usine de St Pierre Montlimart. Je n’oublie pas le défi que ce fut pour ma famille qui a dû suivre depuis Moulins, jusqu’à Illkirch Graffenstaden en passant par Angers.


Qu'est-ce qui t'a motivé à écrire ce livre sur l'histoire du TO7 ?

A mon départ à la retraite, je me suis mis à écrire une sorte de biographie plus destinée à ma famille et en parallèle j’ai voulu raconter mon parcours industriel depuis Thomson jusqu’à la création de start-up à la fin de ma carrière. Mes rencontres dans ma vie professionnelle avec des personnes dont la carrière avait été influencée par le fait d’avoir eu des TO7/MO5/MO6 entre les mains à l’école me poussait à insister sur l’histoire du TO7 dans mon parcours. 

Cependant, j’ai abandonné l’écriture pendant plusieurs années suite à la reprise d’activités opérationnelles au sein d’une start-up dans je suis le cofondateur : Axyn Robotique. En fait, c’est l’émission de Twitch TV sur l’histoire du TO7 à laquelle j’ai été conviée par l’association MO5.com qui m’a redonné la motivation pour finir mes travaux d’écriture. Plusieurs centaines de personnes ont regardé les deux émissions réalisées sur le sujet et leurs commentaires sont souvent très émouvants. De plus, cela m’a permis de reprendre contact avec un certain nombre d’acteurs de cette saga et leur aide pour aborder certains domaines comme le côté logiciel m’a été très précieuse.


Comment vois-tu l'importance du TO7 dans l'évolution de la micro-informatique en France et dans le monde ?

Cet aspect fut l’objet de vives controverses parfois basées sur de fausses informations comme par exemple :

- le TO7 a été inventé pour répondre aux besoins de l’éducation nationale et à la volonté de quelques politiques de mettre en avant une solution française pour enseigner l’informatique dans nos écoles (sauf que le TO7 existait bien avant le Plan Informatique pour Tous de Laurent Fabius) ;

- le choix du TO7 fut une erreur technique majeure dans la mesure où tout avait été fait pour que ce soit le Lisa d’Apple qui soit choisi (sauf que personne ne précise que la solution de nanoréseau de MO5/MO6 de Léanord permettait de faire travailler en réseau 4 fois plus d’élèves que la solution Apple pour le même prix.)

Certes le TO7 a été rapidement dépassé techniquement car ce domaine était en perpétuelle évolution, mais l’important était de pouvoir bénéficier de l’énorme catalogue de logiciels éducatifs obtenus entre autres grâce aux accords avec VIFI Nathan. Par ailleurs la limitation de puissance des TO/MO n’a jamais empêché les élèves de l’époque d’apprendre à programmer en BASIC, en Logo ou en Forth sur les TO/MO.

Le TO7 a eu du mal à passer les frontières où le catalogue de jeux et les capacités graphiques exigées par ces jeux furent les critères principaux dans les choix hors de l’hexagone. L’orientation que nous avions pris avec José de bâtir « une machine à apprendre » n’a pas tenu le choc par rapport aux machines à jouer Amstrad, Atari ou Amiga. Malgré sa forte implantation en Allemagne et une introduction musclée à la foire de Berlin, Thomson n’a jamais réussi à percer sur ce marché avec le TO7 . Il en a été de même en Angleterre, en Algérie….

Donc si le TO7 a eu une influence sur le monde informatique c’est en France que ça s’est passé. 

C’est toute une génération de petits français qui a fait ses premières armes en informatique sur des TO/MO à la maison où à l’école. Au-delà des « fondus » qui continuent à jouer dessus ou à inventer des nouveaux jeux, ils sont nombreux ceux qui ont fait carrière dans le domaine de l’informatique, depuis le technicien jusqu’à de brillants chefs d’entreprise … parce qu’ils avaient eu la chance d’avoir un TO7 ou un MO5 entre les mains. 

Les imbroglios politiques et industriels, la réticence d’une partie du corps professoral, le manque de formation, la position des syndicats d’enseignants ne permirent pas de faire du Plan Informatique pour tous un réel succès. La presse de l’époque le présente comme un fiasco. Toujours est-il que l’arrivée de la microinformatique en France depuis les ZX80 jusqu’au PC compatible a marqué un tournant pour l’Informatique française et que la démocratisation de son accès via les TO/MO dans les écoles n’est pas pour rien dans la qualité des informaticiens français de cette génération.


À travers ton implication auprès de ton école et de l'association des Alumni, comment vois-tu le rôle de l'éducation dans le domaine de l'informatique aujourd'hui ?

Le rôle de l’éducation reste fondamental ou tout au moins devrait le rester. 

Certes il n’y a plus cette notion de découverte de l’informatique comme dans les années 80 . Aujourd’hui les enfants sont rapidement familiarisés avec les outils à la maison comme à l’école, mais pour bénéficier des applications et plus pour les construire avec un programme BASIC ou LOGO. 

Comment leur donne-t-on le gout de programmer, de créer, d’inventer avec des outils informatiques ? En poussant plus loin c’est le défi de l’IA qu’il va falloir relever pour nos enfants et c’est un point que j’aborde dans ma conclusion.


Peux-tu nous donner un aperçu des moments forts que les lecteurs peuvent attendre de ton livre sur le TO7 ?

Quelques moments forts :

- la recherche d’un emploi en sortant de l’école… dans le monde des années 70 !

- la genèse du TO7, une histoire bien différente de celle inventée par la presse de l’époque

- le parcours de l’ingénieur ESEO de la conception à la direction du labo informatique, tout en assurant le rôle d’acheteur/globe-trotteur

- le plan Informatique pour tous : un fiasco ou une chance pour les élèves des années 80

- les coulisses de la mise sur le marché d’un produit grand public dans les années 80

- le début des délocalisations avec le transfert de la production des TO8 en Corée

- la fin de l’aventure avec les tentatives autour des compatibles PC


Comment percois-tu l'évolution de la technologie depuis l'époque du TO7 jusqu'à aujourd'hui ?

Comme j’ai basculé dans le monde de la carte à puce à la fin de l’aventure du TO7, je ne suis pas le mieux placé pour donner un avis pertinent sur le côté logiciel de l’évolution de la technologie . 

Côté hardware, les capacités offertes tant en puissance de calcul qu’en espace de stockage ont connu une croissance exponentielle et donc les outils offerts pour les informaticiens. Comme le démontre Patrice Peyret dans mon livre, il y a un monde entre les quelques Ko du TO7 et les Giga octets offerts dans un smartphone. Les capacités de calcul, les gestions graphiques, les operating systèmes permettent de proposer des applications performantes avec des interfaces utilisateurs bien meilleures. 

La véritable rupture arrive avec l’intelligence artificielle qui révolutionne l’approche et les usages. La question est quel sera le «TO7 » de l’IA qui permettra aux élèves d’aujourd’hui d’être armé face à cette bombe technologique ? 

Pour le moment je ne vois pas de réponse claire.


Quels conseils donnerais tu aux jeunes ingénieur(e)s et passionné(e)s d'informatique qui aspirent à suivre tes traces ?

J’utilisais des tubes dans mes travaux pratiques à ESEO mais je n’ai pas eu de problème pour utiliser des microprocesseurs et même développer le premier Logic Gate Array à usage grand public en Europe. 

Tout cela je le dois à l’ESEO qui ne m’a pas permis de me familiariser avec les outils dont j’ai eu besoin dans ma carrière mais qui m’a appris à apprendre et donc m’a donné la capacité d’adaptation nécessaire aux aléas et aux évolutions d’une carrière. 

Mon conseil sera de ne pas sauter les étapes d’une carrière. Concevoir, créer, inventer restent des objectifs majeurs pour une carrière d’ingénieur. Ce sont ces objectifs et l’aventure humaine associée qui ont alimenté ma passion et m’ont permis de faire les bons choix de carrière, le salaire ne venant qu’au second plan. Depuis mes débuts chez Thomson jusqu’à la création de plusieurs start-ups en passant par la carte à puce, ma motivation et ma passion sont restées intactes. Les témoignages des fans du TO7 40 ans plus tard constituent un retour sur investissement inattendu.

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Envie d'en savoir plus ? Contactez directement Michel LEDUC qui se fera un plaisir de vous parler non seulement de l'histoire du T07 mais surtout de ses expériences et des enjeux des évolutions technologiques !

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